La philosophie juive médiévale

À l'université, j'avais étudié la philosophie et mon mémoire de maîtrise portait sur les sources juives de Spinoza. À l'École pratique des Hautes Études, je m'inscrivis donc au cours de philosophie juive de Georges Vajda.

Au Moyen Âge, on entendait par « philosophie », les explications du monde, fondées sur la raison humaine, qui avaient pris naissance en Grèce, avec Platon et Aristote (Vème- IVème siècle avant notre ère). Aujourd'hui, on parlerait de « science ». Traduits en arabe (à partir du IXème siècle de notre ère), et augmentés de l'apport des savants arabes, ces textes englobaient toute la science (y compris la physique et la métaphysique) connue à l'époque et ils furent lus et adoptés par des fidèles de toutes les religions en pays d'Islam. Dans les communautés arabes et juives, on les nommait « hokhmot hitsoniot » (sciences extérieures) car elles venaient d'une autre source que la Loi révélée. Durant tout le Moyen Âge, les controverses se poursuivirent entre les philosophes et les partisans d'une tradition uniquement religieuse. Elles s'envenimèrent lorsque des traductions en hébreu mirent ces textes à la portée de juifs d'Europe ignorant l'arabe. En Provence, en Espagne et en Italie, les partisans de la philosophie se multiplièrent. Mais l'attrait pour les doctrines mystiques se répandit également. Au XVIème siècle, lorsque l'imprimerie en hébreu s'imposa, la philosophie n'était plus à la mode, on lui préférait la kabbale ou d'autres conceptions mystiques; seuls furent imprimés les livres de philosophie des personnages très connus.

Lorsque je commençai mon travail (en 1956), la plupart des savants connaissaient bien les oeuvres des grands auteurs (Saadia, Maimonide, Gersonide, Crescas etc) car elles avaient été imprimées et étaient traitées dans les histoires de la philosophie juive. En revanche, les ouvrages de la majorité des philosophes des XIIIème, XIVème et XVème siècles étaient peu connus du public savant car ils étaient restés manuscrits; ils n'étaient signalés que dans les ouvrages d'érudition.

À partir de 1975, dans toutes les éditions de mon histoire de la philosophie juive, les manuscrits ont fourni la matière d'une bonne moitié du livre. De plus, la majorité des études que j'ai publiées et que je publie encore, ont pour sujet des textes qui, à l'époque, étaient ou sont encore manuscrits. Depuis plusieurs années, la situation s'est bien améliorée : de jeunes collègues ont fourni nombre de nouvelles, et très bonnes, éditions basées sur les manuscrits.

Les manuscrits apportent aussi des connaissances nouvelles sur l'enseignement de la philosophie : ainsi nous avons appris que des établissements où n'était enseignée que la philosophie (yeshivot hokhmot hitsoniot) existaient dans l'Espagne du XVème siècle.

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