Manuscrits hébreux du Moyen-Age
Les manuscrits hébreux du Moyen Âge (avant l'imprimerie en lettres hébraïques qui débuta vers 1460-1480, tous les livres étaient écrits à la main, après cette date, beaucoup d'entre eux le furent encore) sont nos cathédrales. Ils sont de parchemin et de papier et se cachent sur des rayonnages. Après avoir beaucoup voyagé avec leurs propriétaires, la plupart d'entre eux jouissent d'une vie calme et tranquille, dans un oubli presque total, dans le fond des bibliothèques publiques de nombreux pays du monde occidental. Des 1 à 2 millions de codex (nos livres formés de cahiers) qui furent écrits en caractères hébraïques durant le Moyen Âge (900 de notre ère jusqu'à 1540) en Terre sainte et dans tous les pays de la diaspora, il reste 35.000 à 40.000 volumes, complets ou fragmentaires, qui ont été conservés volontairement, et moins de 300.000 fragments, qui l'ont été par chance : soit parce qu'ils ont été enterrés (genouzim) soit parce qu'ils ont été réutilisés dans des reliures d'autres livres.
Les manuscrits nous fournissent les trois éléments qui permettent de bâtir aujourd'hui une histoire juive plus complète :
1. L'histoire des textes (Wissenschaft des Judenthums) a débuté il y a plus de 150 ans, elle se fonde essentiellement sur les livres imprimés (ils reproduisent le texte d'un ou deux manuscrits) et sur les manuscrits dont nos savants prédécesseurs pouvaient disposer. Le monde des livres manuscrits hébreux est immense mais le nombre des textes que ces manuscrits portent l'est plus encore : on y lit toute la tradition juive jusqu'à la fin du Moyen Âge, mais aussi de très nombreuses traductions de textes grecs, latins et arabes. Ces textes sont presque tous en caractères hébreux et la langue transcrite est généralement l'hébreu mais on y trouve aussi toutes les langues qui furent parlées par les juifs : l'araméen, l'arabe, le français et l'espagnol, l'allemand (le yiddish) etc. Cette histoire a donné naissance aux disciplines universitaires : Bible et commentaires bibliques, Talmud, Haggadah et Midrash, droit rabbinique, prières, grammaire, poésie sacrée et profane, mysticisme et Kabbale, philosophie et sciences... De nos jours, les textes peuvent être lus sur écran en deux dimensions (microfilms ou photos digitalisées). À l'Institut des Manuscrits Hébreux Microfilmés (Bibliothèque nationale, Jérusalem) on peut lire presque tous (90 %) les textes des manuscrits hébreux (environ 74 000 rouleaux) qui sont conservés dans les bibliothèques du monde, de sorte que, dans toutes les publications actuelles, le numéro du microfilm à l'Institut suit la cote du manuscrit dans la bibliothèque où il est conservé. De plus, un grand nombre de bibliothèques ont commencé à mettre sur écran les images digitalisées de leurs manuscrits. Le Friedberg Genizah Project, lorsqu'il sera terminé, donnera la possibilité de voir sur écran les plus de 250 000 fragments de genizah. Le projet Book within Books fera de même pour les milliers de fragments conservés par ailleurs, surtout dans des reliures.
2. Les livres manuscrits sont des objets en trois dimensions et ils gardent l'empreinte des âmes et des mains de ceux qui les ont écrits, lus et aimés. La paléographie hébraïque est une discipline nouvelle (elle a tout juste 50 ans) : elle étudie les caractères matériels du livre (codicologie) et ceux de l'écriture (paléographie proprement dite). Elle nous met en contact avec les personnes qui ont commandé le manuscrit, qui l'ont écrit, qui l'ont orné, qui l'ont lu au cours des siècles. Elle nous révèle le contexte social et culturel, juif et non-juif, dans lequel le manuscrit a été élaboré.
3. L'étude de l'histoire du manuscrit entre le moment où il fut écrit jusqu'au temps présent apporte d'autres éléments historiques: les possesseurs, juifs et non-juifs, ont laissé leurs marques sur les feuillets (actes de vente ou d'achat, cotes, sceaux et noms des bibliothèques où ils ont séjourné). Ces possesseurs ont souvent muni le livre de reliures à leurs armes. La conservation des manuscrits durant de longs siècles dans des bibliothèques (chrétiennes pour la plupart) leur a permis d'échapper aux guerres et aux autodafés. Qu'ils soient aujourd'hui accessibles aux savants est une sorte de miracle ; il est dû à l'amour du passé et au respect pour les cultures humaines.
Les trois études du manuscrit - celle du texte, celle du manuscrit comme objet concret, celle de l'histoire de ce manuscrit - doivent être faites à part, l'une après l'autre, car chacune demande une attention totale et l'observation d'aspects du manuscrit qui diffèrent profondément. Comprendre un texte demande des connaissances philologiques et l'entendement du genre de raisonnement utilisé dans le domaine. Mesurer les dimensions d'un volume, juger de l'épaisseur de son parchemin, décrire son écriture, ses décorations, sa reliure, fait appel aux facultés sensibles du chercheur : vision et toucher. Noter les marques de possession et les cotes des bibliothèques requiert des connaissances bibliographiques sur les milieux culturels des pays où les manuscrits ont séjourné et où ils se trouvent actuellement.
Seule une histoire qui conjugue ces trois études rend justice au manuscrit et nous permet de trouver sa place à tous les hommes qui ont entouré sa longue vie; elle nous permet de trouver sa place dans le temps et le lieu, de l'intégrer dans ce que nous savons déjà du passé. Un très petit nombre de manuscrits (entre 100 et 200), exceptionnels, par leurs enluminures ou par l'importance de leur texte, ont eu droit à ces trois études. Mais des dizaines de milliers d'autres gardent vivants la trace de la main et de l'œil des hommes qui ont entouré leur existence.
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